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Le magazine d'information des professionnels de la communication
FRP • 03/01 • Mars 2001


La rhétorique publicitaire,
ou l'art de la persuasion

 


La rhétorique puise ses origines dans l'Antiquité. Son histoire a été traversée de nombreux soubresauts, dont, à la fin du XIXème siècle, son abandon progressif dans l'enseignement scolaire contemporain. Pourtant, la rhétorique ne se confine pas, comme d'aucun pourrait le penser, aux figures (métaphore, métonymie, anacoluthe voire même chleuasme !). Elle englobe les procédures d'argumentation et plus largement la construction globale des textes.


Convaincus que la rhétorique peut être profitable à la pratique publicitaire, nous nous proposons ici de visiter brièvement les trois types d'arguments qu'envisage la rhétorique antique, laissant volontairement à l'écart les figures (néanmoins fréquemment présentes tant dans les textes et les images publicitaires que dans leurs rapports).


La rhétorique peut être définie comme l'art de persuader par le langage. L'orateur a deux moyens majeurs pour persuader : déduire ou séduire. Chaque argument empruntera soit à la raison (logos), soit aux affects (ethos, pathos). Ces trois catégories d'arguments peuvent être représentées de la manière suivante :


Le logos ou la rationalité

L'argument engageant la rationalité se situe du côté du logos. Pôle de la logique pure, de la démonstration mathématique, qui ne dépend ni de l'orateur ni de l'auditoire, le logos définit des arguments susceptibles d'être reconnus comme valides par tous.

La référence au Cogito, ergo sum de Descartes simule une logique argumentative. L’image principale suggère pour sa part des pensées bien loin de la sèche rhétorique…

Cependant, en publicité, le logos est rarement d'une rigueur absolue. L'objectif n'est pas d'opérer une démonstration scientifique, mais de réunir des arguments favorables, quitte à biaiser un peu la réalité.
Par exemple, l'annonce Rivella Vert fait explicitement référence au Cogito, ergo sum de Descartes : " Je pense, donc j’ai soif ", C.Q.F.D. Cela dit, l'argumentation est transposée au profit du produit vanté. C’est une simulation d’argumentation, une “parodie” d’argumentation, qui se retrouve jusque dans le pavé rédactionnel : " Il rafraîchit non seulement la gorge, mais aussi l’esprit ".

Aristote suggère toutefois l’existence de deux techniques principales d’argumentation : le syllogisme (que l’on vient de voir) et l’exemple. Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, dans leur ouvrage sur la Nouvelle Rhétorique, distinguent trois rôles susceptibles d’être remplis par le cas particulier : " Comme exemple, il permettra une généralisation; comme illustration, il étayera une régularité déjà établie; comme modèle, il incitera à l’imitation ". Ainsi, la publicité Braun utilise l’image comme " démonstration par l’illustration ", étayant " une régularité déjà établie ", à savoir qu’" avec le temps, tous les objets tranchants s’émoussent ".

 

La démonstration par l’exemple est souvent utilisée pour vanter les qualités d’un produit.

Si le logos publicitaire se réduit souvent à la mise en évidence d'un avantage (prix, promotion, etc.), certaines formes publicitaires mettent différemment à profit la dimension du logos :


• Lorsque la publicité véhicule une information nouvelle ou un produit nouveau, elle préfère souvent se centrer sur les arguments de vente. La galerie du vin de Coop montre, du point de vue de l'image, le lien quasi immédiat entre l'image virtuelle de la bouteille et son existence réelle. Le texte parle de simplicité d'utilisation, de rapidité de livraison, de quantité et de qualité du choix.

 

Promouvoir un site Internet d’e-commerce passe souvent par la démonstration paradoxale, prouvant la “réalité” des produits vendus.

• La communication de crise est caractérisée par une contrainte temporelle, la rapidité de réaction, une contrainte d'information, la transparence des faits, et une contrainte d'uniformisation, la cohérence des différents discours. Ces contraintes en font un discours fortement informatif, clairement situé du côté du logos. Il se caractérise ainsi par une prédominance systématique du texte, souvent conjuguée à une utilisation rudimentaire voire inexistante de l'image, un traitement de la mise en forme et de la mise en page du texte minimal, une structure textuelle fortement argumentative et une diffusion de très courte durée. Les annonces expliquant les raisons de la présence de canettes de boisson gazeuse frelatées (Coca-Cola), de la mauvaise tenue de route de nouveaux modèles automobiles (Class A de Mercedes), ou encore de la pollution maritime consécutive au naufrage d’un pétrolier (L’Erika et Total), sont autant d’exemples similaires à celui destiné à rassurer l’opinion publique suisse sur la qualité de la viande de bœuf nationale.

Toute crise nécessite une communication rapide, transparente et cohérente.


L'ethos ou l'image de l'entreprise


L'ethos constitue le caractère de l'orateur, l'image qu'il donne à l'auditoire. Il s'agit de gagner la sympathie du public cible en se présentant sous un éclairage favorable, comme la compétence, la confidentialité, la qualité, la compétitivité, la rigueur, etc.

 

La grand-mère est un thème récurrent dans la publicité. Elle sert simultanément à symboliser la tradition, le bon goût et le savoir-faire. Mais elle s’est aujourd’hui quelque peu diversifiée, et on l’a rencontre aussi bien dans des publicités pour les repas Lustucru que pour le site Internet www.Bazar.fr !

Si l'ethos est construit par le discours, il existe naturellement un ethos pré-discursif, c'est-à-dire une image que l'auditoire (le public) se fait de l'orateur (la marque) avant qu'il ne prenne la parole. Ces deux types d'ethos peuvent interagir, soit en se renforçant mutuellement, soit en se disqualifiant, d'où l'importance d'une stratégie de communication cohérente, l’idéal étant bien sûr que l’ethos construit par le discours renforce l’ethos pré-discursif, tout en l’enrichissant. Jean-Noël Kapferer, expert français reconnu comme l’une des autorités de la réflexion internationale sur la question des marques, rappelle ainsi qu’une marque doit se renouveler pour survivre : " Pour acquérir un statut de repère, de contrat, il faut une constance dans le temps : savoir rester intangible sur la proposition de base faite par la marque. [Mais] pour durer, il faut savoir changer. Tel est le paradoxe de la marque ".

 

Certains entrepreneurs, comme Alain Afflelou pour le marché des lunettes, ont imprimé leur personnalité à la marque.

En publicité, l'ethos n'est pas attribué au réel orateur (l'agence de publicité), mais bel et bien à la marque-produit vantée. Ainsi, une publicité Migros pour du thé froid recourt au personnage de la grand-maman. Le but de cette publicité est de mobiliser l'ethos pré-discursif de cette grand-mère archétypale (savoir-faire, tradition, recette ancestrale) pour le faire se refléter sur le produit lui-même (et éventuellement sur la marque). Cette volonté manifeste se voit confirmée par la surenchère du rédactionnel : " Ice Tea, L'original ", " à base d'infusion de thé ", " comme fait maison ". Le crédit d'authenticité dont profitera le produit est encore renforcé par la touche humoristique chère à bien des publicités du géant orange.

 

Si on peut parler en bien des cas d'une synonymie entre ethos et image de marque, il est trois cas particuliers où l'ethos proprement dit est systématiquement (sur)exploité.

• Lorsque la marque est attribuable à un personnage authentique, l'ethos joue souvent à plein. L'exemple de Jean-Louis David l'atteste : le nom apparaît trois fois, dont une fois en signature (cette référence est encore renforcée dans le texte, où le produit est accompagné du pronom possessif mon). Le milieu professionnel dans lequel s'inscrit Jean-Louis David “professionnalise” le produit lui-même : en achetant le produit, on achète son créateur. En termes rhétoriques, on pourrait dire que l’ethos du produit est égal à celui de son créateur.

• D’une manière partiellement similaire, une autre stratégie publicitaire consiste à développer l’ethos de la marque en l’associant à celui d'un autre. Les stars utilisées dans les pubs, depuis les célèbres publicités pour le savon Lux jusqu’à celles pour Danette, opèrent un transfert d'aura de la star convoquée sur le produit venté.
Diax a par exemple fondé l’ensemble de l’une de ses campagnes publicitaires sur des personnalités de notoriété publique, dans différents secteurs (sport, divertissement, culture économie, politique, etc.).

La starisation est un phénomène très fréquent dans le monde de la publicité, à tel point que la grève des acteurs hollywoodiens a provoqué un véritable tollé aux Etats-Unis.

• Un autre cas flagrant est constitué par les affiches électorales, dont le thème est moins la mise en évidence d'un programme (logos) que d'un homme (ethos). La célèbre affiche de Jacques Ségala pour la campagne 1981 de François Mitterrand visait ainsi à créer l'ethos de " La force tranquille ". Cette image du Président était construite à l’aide d’un ensemble subtil d’instruments. L’emploi de " la ", plutôt que d’" une ", témoignait du caractère unique et complet du personnage. Seul à pouvoir incarner cet oxymore (force vs tranquille), il était également le seul président envisageable. La juxtaposition des termes " Mitterrand " et " président ", phonétiquement semblables, renforçant encore cette idée de seul candidat éligible. L’illusion était créée : ces deux termes associés sans aucun connecteur donnaient une impression de relation nécessaire. Ils étaient inextricablement liés. Enfin, une brève analyse chromatique révèle le fond coloré bleu, blanc, rouge, couleurs à l’effigie du drapeau français, symbole patriotique par excellence.

Ce Président aura marqué pour longtemps l’imaginaire national français… Plus que sa politique, c’est l’ethos qui a entouré son personnage qui est resté dans les mémoires.

Le pathos ou la séduction de la cible

Le pathos constitue le deuxième pôle de l'argumentation par la séduction. Un argument relève du pathos lorsqu'il cherche à induire une forte réaction émotionnelle dans le public. On cherche à provoquer la joie, la peur, l'espoir, l'indignation, etc.
Toute publicité pour un produit, c'est bien connu, va chercher à provoquer des sentiments euphoriques dans le public : il s'agit de susciter l'envie, une envie qui se doit d'être totale, gommant le moindre défaut. Il en résulte que le pathos réel convoqué est souvent mièvre. La seule voie d’issue en la matière est un surengagement des sentiments et une hyperbolisation presque systématique, fondés par exemple sur la provocation de désirs érotiques. Virgin Cola joue avec les " désirs inconscients ", notamment par le biais d’une image psychédélique.

 

Virgin Cola communique clairement sur le registre de la provocation et de l’humour confondu, à l’image de son mentor, Richard Branson.

Contrairement aux publicités commerciales, les publicités d'institutions peuvent recourir au pathos dysphorique avec force, en suscitant l'indignation, le dégoût, le danger ou la compassion, souvent avec des mots et des images très durs, à l’instar de la dernière campagne Pro Infirmis, ou encore de l’Association pour l'Abolition des Expériences sur les Animaux.

 

Les publicités d’institutions ont l’avantage évident de pouvoir communiquer sur des thématiques globalement absentes de la publicité commerciale.

C'est une pratique courante dans la communication d'institutions pour l'entraide humanitaire, l'écologie, la protection des animaux, etc. Mais si ce type d'institutions exploite ce pathos particulier, c'est qu’il permet de se distinguer des autres productions publicitaires (à l'exception des campagnes Benetton peut-être, cf. n° 5/00 de Comm In).
Enfin, un autre cas d'école est celui des partis d'extrême droite, qui usent fréquemment de ce type de rhétorique, dans le but de renforcer la peur de la population envers l'étranger.


Des cas de mixité


S'il est rare de rencontrer un argument et, à plus forte raison, une publicité complète, appartenant strictement à un seul pôle, on peut cependant relever des tendances évidentes à privilégier l'un ou l'autre de ces pôles, tout en observant un savant dosage.
Dans les cas les plus fréquents, un glissement s'opère entre les polarités. L’annonce Ferrier Lullin illustre ainsi, de manière exemplaire, l’utilisation subtile des différentes ressources de la rhétorique des preuves, par glissements successifs.

Cette annonce d’apparence banale met en étroite relation les trois pôles rhétoriques. D'une manière générale, il y a (con)fusion entre l'ethos et le pathos, représentés respectivement par un NOUS et un VOUS, inextricablement liés. Le pronom NOUS met en scène les banquiers et leurs clients dans l'instauration d'une relation de confiance : " nous regardons dans la même direction ".
Le logos contribue lui aussi à entretenir cette relation, en opérant une fusion qui peut être reformulée par le raisonnement suivant :


(1) Vous avez tels points de vue et objectifs
(2) Nous avons les mêmes points de vue et objectifs
(3) DONC vous et nous sommes égaux. Vous êtes nous.

Cette publicité Ferrier Lullin offre un bel exemple de mixage des preuves rhétorique au service du rapprochement entre clients et banquiers.

Cette conclusion (3) apparaît explicitement dans le second paragraphe : " vous êtes chez vous ". En ce sens, le syllogisme affiché (" tout est une question de point de vue DONC nous regardons dans la même direction ") ne tente pas tant de persuader – il est évident que le raisonnement proposé est fallacieux, car, si tout est une question de point de vue, pourquoi ne pourrait-on pas regarder dans des directions différentes ? – que de s'afficher comme déjà conclu. La résolution est d’ailleurs clairement illustrée par le scénario des images, qui suggèrent le passage vers une relation fusionnelle entre clientEs et banquier.


Le pôle de l'ethos ne se réduit d'ailleurs pas à ce que nous évoquions précédemment. La sobriété de l'annonce (large usage de l'espace blanc), l'insistance sur l'ancienneté de la banque (mention de l'année de fondation et texte rédactionnel : " depuis plus de deux siècles "), l’élégance des personnages représentés dans la série photographique, tout inspire un sentiment de confiance, dû respectivement à une impression de haut de gamme, de solidité et de savoir-vivre. On voit à quel point l'ethos fonctionne sur le pathos. La répétition de la mention " Partenariat " permet d'insister sur l'objectif désiré de la publicité, à savoir véhiculer un esprit et une communauté de valeurs supposés partagés.


Mais, à trop vouloir fusionner logos, ethos et pathos, le danger est grand à la cacophonie, à la dispersion, à la déperdition, ennemis du message unique, de la USP (Unique Selling Proposition).


Quels intérêts pour le publicitaire ?


La rhétorique ne présente pas une méthodologie. Elle n'est pas plus un catalogue de recettes. Mais sa force résulte d’une certaine simplicité : le message peut être centré soit sur son émetteur, soit son récepteur, soit sur lui-même. Ainsi, selon la stratégie publicitaire privilégiée, il est profitable, voire nécessaire, d'accentuer telle ou telle dominance :


Benetton, encore…


Benetton recourt de manière ostentatoire au pathos dysphorique dans le but (paradoxal ?) de construire son ethos euphorique. C'est pourtant avec les outils de la rhétorique que l'on est peut-être le plus à même de démontrer cette fausse idéologie. Comment la marque Benetton parvient-elle à faire glisser le pathos dysphorique de ses campagnes sur son ethos euphorique ? Réponse : par le logos. Dans une interview accordée au CB News, Oliverio Toscani, ex-photographe des campagnes Benetton, affirmait ainsi sa volonté de sortir d'une " pensée unique " qu'il critiquait explicitement : " Le consensus de tout le monde ne m’intéresse pas. Ce qui me fait peur, c’est l’acceptation aveugle du conformisme ". L'objectif avoué de Toscani était de polariser les opinions dans le but de susciter des polémiques : " L’important, c’est de créer le débat, d’avoir une incidence sur le tissu social ", expliquait-on à Ponzano Veneto.


Malheureusement, le débat a plus souvent porté sur la marque et le rôle de la publicité que sur les thématiques soulevées par Benetton. La raison provient essentiellement de l’absence de logos dans les publicités Benetton. Dès lors, l’opération de transfert du pathos dysphorique sur l’ethos euphorique se réalise comme suit :


(1) Tout pathos dysphorique est contraire à la publicité, ce qui suscite un sentiment de provocation (" shockvertising ").

(2) Cette provocation génère une réflexion sur la condition humaine et ses aléas.

(3) Benetton, instigateur de cette réflexion, semble se positionner dans le débat social.

(4) Benetton renforce son ethos euphorique par l’adjonction d’une image de marque engagée.


Là où cette logique fait défaut, c'est dans l'absence de toute dimension argumentative (logos) dans le discours. Si la manipulation est si difficile à démontrer, c’est peut-être parce que l'argumentation y est justement absente. Ce n'est ainsi pas tant l'utilisation de pathos dysphoriques qui est en cause, que l'absence de toute argumentation. Telles les images No Comment d'Euronews, ces discours sont vides du point de la prise en charge énonciative. Comme si l’absence de commentaire les lavait de toute responsabilité.


La réussite commerciale de Body Shop se fonde sur l’aura écologique qu’a su communiquer l’entreprise. Plus localement, Migros a ouvert un site Internet entièrement dédié aux aspects sociaux et écologiques dont la firme se préoccupe (www.Miosphere.ch). À l'instar de Benetton, mais sans provocation, les prises de position par Body Shop ou par Migros sont clairement identifiables. C’est peut-être dans ce sens que devraient plutôt aller les entreprises…

Thierry Herman
& Gilles Lugrin

Publication 14

 

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