Syllogisme
et enthymème : modèles élémentaires de l'argumentation
Dans
les Premiers analytiques (24b, 18-22) - voir aussi les Topiques,
Livre 1, 100a25-100b26 -, Aristote avance cette définition du syllogisme:
«Le syllogisme est un raisonnement dans lequel certaines prémisses
étant posées, une proposition nouvelle en résulte
nécessairement par le seul fait de ces données. »
On retrouve la base du schéma examiné plus haut: les prémisses
sont ici définies comme des données dont résulte
nécessairement « une proposition nouvelle » qui est
proprement une conclusion. Le syllogisme strict a pour particularité
d'amener la conclusion sans recours extérieur. C'est dire qu'il
ne nécessite ni étayage supplémentaire, ni restriction
et que la règle d'inférence est la simple application d'un
schéma abstrait. Retenons seulement que la structure du syllogisme
correspond au schéma de base: [données (prémisses
majeure et mineure) -> conclusion].
On trouve généralement sur les pots de miel des formules
comme « MIEL DE SAPIN », « MIEL D' ACACIA », plus
souvent « MIEL DE TOUTES FLEURS », plus subtilement et métaphoriquement
« LUNE DE MIEL », mais très rarement des énoncés
aussi longs que les suivants :
(109)
Toutes les fleurs sont dans le miel, tous les miels sont dans les fleurs.
Miel
suisse.
(110)
Toutes les vertus sont dans les fleurs
Toutes
les fleurs sont dans le miel
Le miel
Trubert.
Si
(109) frappe par sa complétude (il semble, en effet, que rien ne
doive ni ne puisse lui être ajouté), (110) paraît,
en revanche, incomplet et inachevé, fournissant un bel exemple
d'enthymème, comme nous allons le voir.
a. Syllogisme et enthymème
La figure rhétorique du chiasme, renforcée par le parallélisme
syntaxique des deux propositions, referme la présentation de (109)
sur elle-même. Centré sur la contiguïté sémantico-référentielle
qui unit « miel» et « fleurs » dans une même
isotopie, cet énoncé apparaît comme très peu
informatif. Il manipule une proposition admise sans viser la moindre conclusion,
c'est-à-dire sans orientation argumentative et, par là même,
sans progression. Du TEXTE, (109) ne possède qu'un trait constitutif
: la continuité-répétition. La cohésion l'emporte
sur l'autre dimension de la textualité : la progression. Ces deux
aspects de la textualité – cohésion et progression
- sont à la fois contradictoires et également indispensables.
Chaque texte instaure, en fait, une gestion spécifique de cette
tension constitutive. Tout texte peut être défini comme une
séquence de propositions liées progressant vers une fin.
L'absence d'une telle orientation dynamique produit, en (109), un effet
d'aphorisme à la limite de la fermeture tautologique.
L'exemple (110), lui, introduit, de proposition en proposition, des éléments
nouveaux :
proposition
1 : Toutes
les A sont
dans les B
proposition 2 : Toutes
les B sont
dans le C
Le
C
Trubert
En
postulant une complétude de (110), le syntagme nominal qui suit
la proposition 2 pourrait être interprété grammaticalement
comme un multi-remplissage de la même place syntaxique par une reprise-répétition
: « Toutes les fleurs [B] sont dans le miel [C], le miel [C] Trubert.
»Mais ce serait oublier la force du moule du syllogisme sur l'interprétation
d'un énoncé qui apparaît comme incomplet.
D'un point de vue référentiel, on a, selon la définition
classique de la généricité, affaire à un certain
état de choses, général, habituel ou courant. Les
deux premières propositions ont une valeur de prémisses
que la généricité leur confère : un caractère
non accidentel, non contingent. Il est linguistiquement intéressant
de relier la structure argumentative des prémisses et leur nature
référentielle de phrases génériques. Ce caractère
générique de (110) correspond parfaitement à la définition
aristotélicienne du syllogisme. Le syllogisme idéal ne saurait,
en effet, porter sur le particulier.
En appliquant successivement la loi d’effacement du moyen
terme (B) et la loi d’abaissement des substantifs en position
de sujet (A pour la prémisse majeure) et de prédicat (C
pour la prémisse mineure), nous pouvons restituer la conclusion
avec sa structure de phrase aussi générique que les prémisses
: « Toutes les vertus (A) sont dans le miel (C). » Soit le
syllogisme complet suivant :
Toutes les
vertus sont dans les fleurs
(or) Toutes
les fleurs sont dans le miel
[(donc) Toutes
les vertus sont dans le miel]
En
bonne logique et pour suivre la voie de la complétude de (109),
il faudrait que (110) soit ainsi libellé. Mais, précisément,
ce qui est ici intéressant, c'est que le syllogisme est effacé
et qu'un autre énoncé (« Le miel Trubert »)
apparaît en lieu et place de la conclusion attendue. Le mouvement
qui va de la généricité à une assertion conclusive
portant sur un objet particulier (le miel Trubert), et non plus
sur la classe générique (miel), nous sort, en fait, du syllogisme
logique et nous fait tout simplement entrer dans le discours argumentatif
et dans le domaine de l'enthymème. L'application pure et simple
du schéma du syllogisme ne donnerait qu'un texte redondant aux
allures d'aussi mauvais rabâchage que (109) et interdirait d'introduire
« le miel Trubert », objet visé par les assertions
génériques.
L’effacement et l'implicite, le travail sur et avec les inférences
possibles représentent, en fait, la règle des textes, la
complétude constituant une norme-limite et même illusoire
en ce domaine. Ceci a des conséquences sur l'interprétation
: les propositions effacées peuvent jouer un rôle dans celle-ci,
mais ce qui devient pertinent et qu'il va falloir expliquer, c'est l'opération
d'effacement qui confère une importance particulière au
texte de « surface », à la matérialité
de l'énoncé réalisé.
Selon Aristote, les propositions de l'enthymème:
[...]
sont peu nombreuses, souvent moins nombreuses que celles d'où se
tire le syllogisme de la première figure; en effet, si l'une des
prémisses est connue, il n'est
même pas besoin de l'énoncer, l'auditeur
la supplée. (Rhétorique 1, 1357a)
Il
ne faut ni prendre le raisonnement de loin ni passer par tous les échelons
pour conclure; le premier procédé manque de clarté par
suite de la longueur; l'autre est
bavardage, parce qu'il énonce des choses
évidentes. (Rhétorique n, 1395b 22)
Selon
ces citations, l'enthymème est donc un syllogisme incomplet, acception
qui sera retenue par la plupart des rhétoriciens ultérieurs.
On relève également dans la Rhétorique d'Aristote
une approche complémentaire de l'enthymème, vu comme un
syllogisme dont les « déductions [sont] tirées de
vraisemblances et d'indices » (1, 1357a) et dont les prémisses
s'appuient sur des topoï (ou lieux [communs]), c'est-à-dire
sur des préconstruits argumentatifs formés à partir
de l'opinion publique (II, 1396a à 1400b). Ces deux acceptions
se rejoignent dans la définition générique de l'enthymème
comme « syllogisme de la rhétorique » (1, 1356b), reformulé
en « syllogisme mou » par Reboul (1984: 21) et fondé
sur le flou ou le conjoncturel.
b. L'enthymème publicitaire
La publicité abonde en enthymèmes. On peut du reste se demander
dans quelle mesure le syllogisme strict serait réalisable dans
ce type de discours caractérisé par la « logique molle
» ou la « quasi-logique ». Au degré faible, l'enthymème
publicitaire adopte l'apparence logique du syllogisme strict, tout en
dénaturant ses enchaînements. Le possible factuel remplace
alors le nécessaire rationnel :
(111) J'aime ma femme, j'aime [A] ma Kronenbourg
[B]. = majeure
Ma
femme [C] achète la Kronenbourg [B]
par 6, = mineure
c'est
fou ce que j'aime [A] ma femme [C].
= conclusion
On
peut certes reconstituer derrière un tel slogan le canevas formel
du raisonnement syllogistique : structure ternaire, progression globale
par emboîtement de termes (AB - CB - AC)... Mais la rigueur déductive
qu'on attendrait d'un syllogisme est sérieusement perturbée
sur au moins deux plans :
- Cet énoncé, qui ne s'appuie sur aucune règle générale,
se contente d'articuler trois cas particuliers. Soit un bel exemple de
paralogisme, d'après les critères de la logique classique.
A la limite, on pourrait dire que ce slogan construit progressivement
sa propre règle, précaire et conjoncturelle, selon un principe
graduel dont nous reparlerons plus loin: Plus ma femme achète
la Kronenbourg (mineure), plus j’aime ma femme (conclusion).
- La majeure pose de gros problèmes, soit que l'on voie en elle
la juxtaposition de deux isotopies (sentimentale et alimentaire), soit
que l'on interprète sa première proposition « J'aime
ma femme » comme une anticipation de la conclusion (mais on peut
tout aussi bien considérer la conclusion comme une reformulation
renchérissante de cette première partie de la majeure).
Quoi qu'il en soit, la progressivité déductive du texte
se ferme en circularité, ce qui est évidemment contraire
aux principes de la figure du syllogisme.
Par ailleurs, ce slogan se développe selon un amalgame forcé,
favorisé par la polysémie du verbe aimer, entre
les deux isotopies - sentimentale et alimentaire - produites : il n'est
pas légitime, logiquement parlant, de passer de la bière
à un renforcement de l'amour conjugal. En fait, par-delà
sa mise en scène syllogistique, ce slogan présente une argumentation
floue, caractéristique de l'enthymème. Celle-ci consiste
en gros à contaminer la valeur alimentaire plus faible par la force
de la valeur sentimentale qui lui est associée: l'amour conjugal
bonifie qualitativement l’amour de la Kronenbourg. Mais inversement,
au niveau de la conclusion, l’amour conjugal se trouve lui-même
exalté (« c'est fou ») par sa contribution à
l'amour de la Kronenbourg, la valorisation du produit devenant ainsi plus
forte que la valorisation sentimentale. Le caractère ouvertement
sexiste (sans doute non dénué d'ironie provocatrice) de
ce slogan explique que les publicitaires eux-mêmes l'aient considéré
comme une des pires réalisations possibles.
Au degré fort, qui constitue la majorité des cas et qui
nous intéresse directement dans cette section, l'enthymème
publicitaire sous-entend une ou deux propositions du syllogisme. Soit
les slogans suivants :
(112)
Il n'y a pas de bulles dans les fruits
Alors
il n'y a pas de bulles dans Banga.
(113)
Moi j'aime le naturel et mon visage aime Monsavon.
L'exemple
(112) repose sur un schéma inférentiel argumentatif de type:
[SI p, ALORS q] et nous sommes très proches des
énoncés argumentatifs classiques dont nous reparlerons au
chapitre suivant. L'enchaînement linéaire Donnée
-> Conclusion n'est, en fait, acceptable que si l'on
passe par une explication de type : « PARCE QUE/CAR il n'y a que
des fruits dans Banga ». Le passage de la prémisse majeure
« Il n'y a pas de bulle s (A) dans les fruits (B) » à
la conclusion « Alors il n'y a pas de bulles (A) dans Banga (C)
» est rendu possible par l'intermédiaire de la prémisse
mineure effacée: «CAR il n'y a que des fruits (B) dans
Banga (C) ». Reste la question du pourquoi du choix de l'enthymème
au détriment du syllogisme. Il semble que l'explication de cette
ellipse est triple. On peut avancer un argument pragmatique : l'enthymème
oblige l’interprétant -consommateur potentiel à suppléer
lui-même l'ellipse en restituant la proposition (positive) la plus
importante, celle qui constitue l'argument de vente de Banga en l'opposant
aux autres boissons (gazeuses). On peut également avancer un argument
juridique : énoncer la prémisse manquante reviendrait, en
effet, à affirmer une proposition dont la vérité
est loin d’être certaine ; l'ellipse de la prémisse
mineure rend ainsi le slogan juridiquement intouchable : cette publicité
ne peut être dite mensongère. Enfin, ce choix de l'enthymème
peut s’expliquer par des raisons purement ludiques. Comme le rappelle
Barthes: «L'enthymème n'est pas un syllogisme tronqué
par carence, dégradation, mais parce qu'il faut laisser à
l'auditeur le plaisir de tout faire dans la construction de l'argument:
c'est un peu le plaisir qu'il y a à compléter soi-même
une grille donnée» (1970: 203).
L'exemple (113) permet d'aboutir, selon un enchaînement comparable,
de la prémisse majeure « Moi j'aime le naturel » à
la conclusion « [DONC] mon visage aime Monsavon » en passant
par une prémisse mineure de type « OR Monsavon est naturel
». Le passage de la totalité du sujet (moi, je) à
son seul visage ne perturbe pas l'interprétation (relation tout-partie
sous-jacente).
L'enthymème publicitaire nécessite souvent un important
travail interprétatif de la part du lecteur, comme dans ce célèbre
slogan :
(114)
La femme est une île,
Fidji
est son parfum.
Un
tel exemple confirme une idée d'Umberto Eco sur la publicité
: « Les champs enthymématiques sont parfois tellement complexes
qu'il est inconcevable qu'ils soient, chaque fois, compris par le destinataire»
(1972 : 256). Ce que nous nuancerons en mettant seulement en doute le
fait que le lecteur-interprétant puisse parcourir l'ensemble du
raisonnement sous-jacent, c'est-à-dire, par exemple, qu'il interprète
la première proposition métaphorique de (114), qu'il décode
le jeu homonymique sur le nom propre géographique (où Fidji
est une île) et de la marque (où Fidji est un parfum)
pour aboutir à la conclusion générique ou particularisante
: Fidji est le parfum de la (des) femme(s), son parfum.
c. Fonctions de l'ellipse et du sous-entendu
Face à l'enthymème, on a vu plus haut comment Aristote définissait
le syllogisme logique. Cette définition permet de comprendre le
caractère formel de celui-ci : rien, en dehors des prémisses
et des termes mis en jeu par elles, n'est requis pour inférer la
conclusion. Seule la relation qui lie des termes univoques, formalisables
par des lettres A, B et C, suffit à produire une proposition de
conclusion. Soit la formule logique classique: A = B, (OR) B = C où
l'effacement du moyen terme (B) et l'application de la loi d'abaissement
fournissent la conclusion du raisonnement formel: (DONC) A = C. Autrement
dit, le prédicat de la majeure (B) étant le sujet de la
mineure, la proposition qui forme la conclusion a pour sujet celui de
la majeure (A) et pour prédicat celui de la mineure (C) : [A] est
vrai de tout [B], OR [B] est vrai de tout [C], DONC [A] est vrai de tout
[C]. Ce modèle du syllogisme de la première figure exclut,
bien sur, la conclusion particulière inférée par
(110) : « Toutes les vertus sont dans le miel Trubert.»
Abandonnant radicalement cet idéal de complétude de la déduction
logique, disons que (110) est un texte aussi « complet» que
possible et en tout cas représentatif des énoncés
publicitaires. La suppression de la conclusion est une des caractéristiques
des pratiques discursives : l'ellipse et le sous-entendu ne sont pas des
déviances ou des manques, mais ils constituent l'usage dans les
textes en langue naturelle qui se moquent des formes idéales et
closes des logiciens.
Du reste, le rétablissement de la conclusion du syllogisme ne ferait
pas vraiment progresser l'information textuelle : la nouvelle proposition
ne serait, en effet qu'un agencement nouveau des termes mis en jeu dans
les prémisses, conformément à la définition
d' Aristote donnée plus haut, et elle exclurait l'introduction
du nom propre. En substituant LE MIEL TRUBERT à la conclusion attendue,
ce texte conserve une structure progressive et dynamique. La présence
du nom propre en fin de texte vient modifier la référence
du déterminant défini « le » et aboutit à
une construction exemplaire : le texte progresse vers le nom propre comme
fin de son processus d'élaboration du sens. Ce texte réel
substitue le spécifique « le miel Trubert » au générique
« le miel » de la conclusion d'un syllogisme. Le syllogisme
est dépassé et effacé, le raisonnement logique emporté.
Ce texte est informatif et « pertinent », dans la mesure où
il véhicule plus d'information que son interprétant n'en
possédait au terme de sa lecture des prémisses.
Une question demeure: l'interprétant doit-il s'appuyer sur la structure
argumentative de l'enthymème et nécessairement passer par
le rétablissement de la conclusion implicite pour opérer
ensuite le glissement du générique à l'actualisation
particularisante? En d'autres termes, ce texte est-il lisible sans le
recouvrement de l'ellipse? L'argumentation publicitaire emprunte-t-elle
d'autres voies?
En y regardant de près, ce texte comporte à la fois une
structure séquentielle argumentative prototypique (la structure
minimale du syllogisme) et une structure d'un autre ordre qui déplace
le mouvement de lecture par l'enthymème. Cette structure qui vient
s'appliquer sur la précédente pour instaurer un autre régime
du sens peut être définie comme une structure « poétique
» - ce qui nous rapproche des observations de Leo Spitzer longuement
citées au chapitre précédent. Cette structure peut,
de plus, être considérée comme une structure «subliminale
», pour reprendre une expression de Roman Jakobson qui, étudiant
poèmes, devinettes, proverbes, dictons et chansons populaires,
arrive à cette conclusion:
Le
folklore nous fournit des exemples particulièrement éloquents
de structures verbales lourdement chargées et hautement efficaces,
en dépit de son indépendance
habituelle de tout contrôle de la part du
raisonnement abstrait. (1973: 284)
Voyons
rapidement si notre texte, qui n'a pas été choisi parmi
des formes brèves du folklore mais dans le discours publicitaire
contemporain, présente, lui aussi, «des figures phoniques
et grammaticales serrées, étroitement unies à une
méthode de structuration décidément subliminale»
(1973 : 285).
L’attention aux seuls parallélismes superficiels engendrés
par le principe d'équivalence suffira: les groupes grammaticaux
(de deux syllabes) « toutes les » et « sont dans »
sont repris en parallèles, « les fleurs » et «
le miel » aussi. Ce qui aboutit à un reste (également
de deux syllabes) intéressant: /vertus/ + /Trubert/ qui réunit
les premier et dernier mots. Par-delà la syntaxe, le parallélisme
phonique produit une fusion des deux signes restants. En effet, si nous
tenons compte des phonèmes virtuels(3), nous constatons de surprenants
rapports paronomastiques:
v E R t y // t R y b E R
Les
consonnes restantes /v/ et /b/ sont phonétiquement assez proches
(labiales sonores toutes deux, labio-dentale fricative pour /v/et bi-labiale
occlusive pour /b/, c’est-à-dire distinguées par un
seul trait) pour que l'on considère le nom propre « TRUBERT
» comme le paragramme (sinon l'anagramme(2)) phonique de «
VERTUS ». L'ellipse de l'enthymème est la condition même
de la réalisation de cette structure « poétique ».
Le rétablissement des éléments effacés rendrait
impossible l'élaboration des couplages et donc le mode singulier
de « compréhension poétique » et subliminale
de ce texte.
L'exemple (112) subit un traitement analogue: le parallélisme issu
de la segmentation en deux lignes crée une corrélation simple
entre les mots placés en position finale : « fruits »
et « Banga ».
Tout concourt, dans les deux cas, à résoudre un problème
majeur en publicité: le manque de sens connotatif du nom propre.
La dynamique communicative qui oriente l'ensemble du texte vers le nom
propre « Trubert », de même que les parallélismes
et paronomases qui rapprochent « vertus » et « Trubert
» - et moins fermement « fruits » et « Banga »,
« naturel » et « Monsavon » - produisent co(n)textuellement
le sens du nom propre (dont nous avons déjà été
amenés à
parler).
Ces exemples doivent ainsi être considérés dans le
cadre de l'espace de régularité de l'interdiscours publicitaire.
Espace de régularité fondé sur l'établissement
d’un processus de positivation autour du nom propre de la marque
(Trubert, Banga, Monsavon). Dans l'exemple (110), le fait que
«Le miel Trubert» soit typographiquement donné en gros
caractères rouges assure le repérage immédiat de
l'objet du discours. Le reste du texte (en plus petits caractères
noirs) assure l'apport d'au moins une propriété valorisante,
renforcée par le quantificateur universel: « toutes les vertus
».
Énonciativement, ce texte est ancré dans une généricité,
une sorte d'absolu intemporel et l’absence de prise en charge énonciative
garantit la validité universelle de ce qui est prédiqué.
Ce texte peut être rapproché des dictons, proverbes et autres
maximes non seulement en raison de sa structure séquentielle «
poétique », mais également en raison de la nature
gnomique de son fonctionnement référentiel.
La valeur descriptive de la (macro)proposition sous-jacente « Toutes
les vertus sont dans le miel Trubert » amène l'interprétant,
à partir du contexte publicitaire, à calculer les raisons
présumées de la prédication. Faire croire à
l'excellence du produit (énoncé explicitement constatif-descriptif)
a pour but de faire acheter (énoncé implicitement directif)
le pot de miel en question. Sur ce point, nous sommes assurément
fort loin de la « poésie » proprement dite et le processus
de positivation dont nous avons parlé est bien fonctionnel.
(1) Au sens où cet énoncé n'est pas
destiné à l'oralisation, mais comporte des traces graphiques
qui correspondent à des phonèmes de l'oral.
(2) On peut parler - sur le modèle AIMER/MARIE - d'anagramme dans
le cas de cette publicité Nikon: « La magie de l'image ».
|